Voir (Canada) 17 juillet 2003

Publié le 17 juillet 2003

Diane Tell

C’est ma vie



ARTICLE – 17 juillet 2003

Patrick Marsolais
Dans les bureaux de la compagnie de disques, rue Saint-Laurent, Diane Tell offrait son plus beau sourire. Détendue, zen, sereine, un peu fatiguée, bien sûr. La veille avait marqué son grand retour chez nous: un medley de ses plus grand succès, devant 200 000 personnes au Parc Maisonneuve pour la Saint-Jean.

Toute la semaine durant, France D’Amour n’avait cessé de louanger son « modèle »; plus incroyable encore, la rouge chanteuse et Ariane Moffatt avaient essuyé quelques larmes en l’entendant chanter lors de la première répétition. Rue Saint-Laurent, Diane Tell irradiait. On la comprend, elle a déjà reçu pire accueil que ça…Sans trop revenir sur le traitement particulier infligé à la chanteuse au cours des quinze dernières années, mentionnons tout de même que cette triste histoire d’accent nous aura fait oublier l’essentiel. À trop prendre plaisir à détester, certains ont oublié de prendre plaisir à écouter. Avec comme résultat que ce Tout de Diane Tell nous ramène la réalité en plein visage: voilà une très sérieuse machine à hits. Certains moins forts, bien sûr, d’autres forcément tatoués du son des années quatre-vingt, mais en bout de ligne, une oeuvre solide, pas banale, et sans aucun doute sous-estimée: « Hier soir, j’ai senti que tout ça changeait, confie-t-elle. Quand Daniel Boucher, notre prochain grand chanteur et artiste engagé te prend par le bras, te donne son approbation… Y a des signes qui ne trompent pas. J’ai eu l’impression d’être réacceptée dans la famille. Je ne crois pas que ça aurait pu être possible il y a dix ans. J’avais l’impression que tout le monde me disait « Bon, ben, ça suffit maintenant. Tu fais des bonnes chansons, tu fais partie des gens qui ont compté au Québec… » Et puis, même si j’ai plus l’accent québécois, il reste quand même que je persiste à travailler en français, dans un style, le pop-rock, qui ne roule pas si fort en France, comparé à la grosse variété… Peut-être que certains commencent à réaliser que j’ai tout de même un petit peu de mérite à tenir bon…

Chose certaine, elle est une de rares auteures-compositrices à avoir marqué de ses succès les deux dernières décennies (particulièrement les années 80). Dans un pays qui célèbre les lettres comme la Gaule, et dans un contexte désormais propice aux plumes féminines, on croirait Diane Tell occupée à récolter son dû, à recevoir les accolades des nouvelles artistes. Que non: « Je t’avoue que l’effet Carla Bruni m’a un peu frustrée. On la célébrait comme si c’était la première auteure-compositrice de toute l’histoire de la France. Holà! J’ai quand même écrit plusieurs chansons, j’en ai composé encore plus. Mais bon, pour eux, je suis arrivée comme une chanteuse de variété, ils ne savent pas que j’écris mes chansons. J’ai rencontré une des nouvelles stars des shows de musique télé-réalité, qui chantait Si j’étais un homme. Ben, il pensait que Michel Legrand m’avait écrit cette chanson… C’est sûr que le succès de Carla va aider un paquet d’artistes. Quand des jeunes filles vont aller rencontrer les dirigeants des compagnies de disque avec leur guitare, au moins, ils vont écouter. Il y a deux ans, il fallait avoir une voix comme Natasha Saint-Pier pour attirer leur attention. Ça donne de l’espoir. Mais bon, c’est certain que sa beauté a beaucoup contribué. Je connais pas de journaliste qui n’avait pas envie de la rencontrer… Alors que pour Joséphine Truc-mouche ou je-ne-sais-qui, c’est une autre réalité… »

Près de vingt-cinq ans après ses premières notes et dans la foulée d’une nouvelle compilation, sortie il y a quelques mois, l’heure des bilans paraît logique. Ce qui frappe d’entrée de jeu, c’est la diversité des chansons. Tell survole parfois les années quatre-vingt avec panache, mais est également victime de la quincaillerie de synthétiseurs en vogue à l’époque. Il y a des trucs là-dessus qui ont fort mal vieilli, d’autres qui pourraient être inventés demain matin. Côté littéraire, que ce soit de sa plume ou de celle d’amis auteurs, pas moyen d’éviter l’amour. Et l’amour avec Diane Tell ne rime pas toujours avec bonheur. N’est-elle pas la première à clamer qu’aimer elle n’a jamais su?: « Disons que ça n’a pas toujours été fort fort, avoue-t-elle. Toutes les bêtises qu’une artiste ne doit pas faire, je les ai faites. À commencer par avoir un amoureux qui est aussi son manager… Rencontrer le bon gars n’est pas facile quand on exerce le métier que je fais. Surtout quand on est naïve comme je le suis. J’ai été amoureuse de garçons qui, eux, voyaient simplement en moi leur porte d’entrée dans le show-business. Pire, j’ai été l’objet de paris entre mecs. J’ai eu une relation avec un autre qui avait parié avec sa femme qu’il réussirait à m’avoir. Les deux s’engueulaient en regardant la télévision, où je faisais une prestation. Elle lui a dit, si t’es pas content, t’as qu’à aller avec elle, en me pointant du doigt. Il s’est lancé à ma poursuite… Et puis, Il y a toujours les traditionnelles histoires avec les musiciens. En tournée, toujours éloignée… Mais je suis contente, parce que je crois avoir conservé une certaine innocence face à l’amour et aussi dans ma musique. »

Une innocence qui aura été mise à rude épreuve, que ce soit par ses amours complexes, les échecs commerciaux des comédies musicales auxquelles elle a participé (bien qu’elle affirme que Marilyn Montreuil ait connu un certain succès); ou le travail incomplet de la major Sony, qui aurait eu pour effet de bousiller les ventes de son dernier disque: « C’est drôle, parfois je regarde les chanteurs d’aujourd’hui qui connaissent un succès fulgurant avec le premier compact. Après mon premier disque, j’avais deux procès derrière moi, plus un sous, tout le monde m’avait tout bouffé. J’étais pas dans la merde, mais pas loin… L’époque était très différente. On ne pensait pas au métier pour devenir célèbre et archi-riche. Adolescent, on trippait sur Hendrix et sur Joplin parce qu’ils faisaient de bons disques et de bons shows. On voulait faire pareil. Je ne regrette pas grand-chose. Je ne trouve pas que l’argent soit une valeur extraordinaire, pas plus que devenir riche et célèbre est un pilier de vie très valable… »

Et c’est sans doute ce qui fait que malgré tous ces obstacles, Diane Tell a signé son disque le plus candide, Désir, plaisir, soupir, en 1996. Un album, son dernier en fait, que seules les femmes naïves peuvent créer parce qu’elles s’autorisent de délicieuses mélodies, que les hommes n’oseraient pas. Bonne nouvelle, le prochain opus devrait atterrir chez nous avant Noël, et il est, dans la même mouvance pop-rock-folk que son prédécesseur. La chanteuse de Biarritz s’autorisera même une reprise de The Scientist de Coldplay. D’ici là, incontournables, les étapes acoustiques des Francofolies, question de saisir l’essence même de la dame.

Les 27 et 28 juillet à 20h30 au Club Soda
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