Préface – Fortunes de sable de Bernard Bacquié

Publié le 9 août 2010

Maquette d’avion, L’amour et la mort, des les caves d’Alphonse Mellot à Sancerre

Fortunes de sable

de Bernard Bacquié (roman à paraître)

Préface

Juillet 2010. Le commandant de bord du vol AF7834 s’adresse aux passagers pour annoncer le début de notre descente vers l’aéroport Nice-Côte d’Azur. Le capitaine est une femme. J’étais plongée dans le manuscrit de Fortunes de Sable de Bernard Bacquié quand cette voix féminine attira mon attention : « Bonsoir, je suis Madeleine Dorat votre commandant de bord… » J’abandonne ma lecture, les années folles de l’aviation, Latécoère, Casablanca, St-Ex, Dorat et leurs potes… Drôle de coïncidence ce patronyme…

La côte paisible plus dorée que d’Azur défile dans le petit cercle formé par le hublot sur ma gauche. D’un coup, tout me revient. Il y a 10 ou 15 ans, nous rentrions d’Afrique Gabriel et moi et sur le même trajet, à la même heure du soir, aux commandes d’un petit Cesna Cardinal, nous avons fait l’expérience du P.S.V. ! Le pilotage sans visibilité ! Le jour s’écroulait sous nos yeux impuissants. Le ciel n’en finissait pas de dégouliner, avec pour partenaire de jeu de la mort un vent fort en rafales et en travers. Nous survolions à basse mais décente altitude la mer sans perdre de vue la côte pour maintenir la hauteur et le cap. Deux repères sur le point de disparaître dans la sombre grisaille. Mal au cœur la demoiselle avec ses deux petites ailes toutes mouillées. Sale temps. On s’en est sorti comme dans un film qui finit bien.

Je reviens au manuscrit, aux exploits et mésaventures de Reine, Gourp, Dorat, Lécrivain, Tête, Serre et les autres. Bonnes ou mauvaises fortunes des uns, c’est le destin du groupe qui l’emporte au paradis des aviateurs. Des hommes intrépides, sans peurs ni pleurs mais néanmoins sensibles. Des hommes à femmes au moral d’acier avec un cœur d’artichaut. Des hommes à veuves aussi car beaucoup de ces fous volants se sont perdus au sol. Des hommes courageux, téméraires, épris d’un rêve, portés par un seul désir : voler. Je me souviens encore. La beauté arrogante du gigantesque désert du Sahara, le slalom entre les épaves de navires alignées le long des côtes de Mauritanie, les groupes de flamants roses au ras de l’eau, la nuit à l’hôtel de la Poste de St-Louis du Sénégal, l’escale à Cap Juby pour un ravitaillement express, le décollage des hauteurs d’Addis Abeba, les énormes cumulonimbus au dessus du lac Victoria, l’approche de Zanzibar… Des souvenirs recouverts d’autres souvenirs. Des heures de vol que le temps n’a pas effacées de ma mémoire. Il suffit d’ouvrir un livre et tout me revient.

Il est fort probable que mon expérience de pilote-navigateur-amateur sur les traces de la ligne Latécoère et des mots d’Henry de Monfreid me prédispose à aimer les récits qui causent de Mermoz et chantent les refrains de ses audacieux copains. J’aime les histoires qui planent et les impressions d’Afrique vues du ciel. Fortune de Sables est l’un de ces romans Rio de Oro où se côtoient, comme si on y était, tous les héros solidaires et indomptables de l’épopée de la ligne Latécoère, de son apogée jusqu’à la création de l’Aéropostale sous l’impulsion d’André Bouilloux-Lafont qui reprit « la Ligne » en 1927 et lança la liaison Europe-Amérique du Sud. Passage du vol à vue au vol par-delà les nuages et les océans. Si Saint-Exupéry, Mermoz et Guillaumet mettent le cap sur Buenos Aires, c’est le destin de la belle Yasmina qui prend les commandes du roman et nous entraîne vers l’Afrique de l’est et à la rencontre d’autres grands personnages de la littérature du voyage, Monfreid, Kessel… Notre héroïne n’a pas froid aux yeux ni aux fesses qu’elle sait fort jolies et n’hésite pas à s’offrir toute entière aux plus méritants des hommes qu’elle croise. L’histoire danse autour de cette amoureuse à la fois douce et endurcie, saharienne de cœur mais universelle de corps comme le disait autrement la belle Arletty à propos de ses amours jugées illicites lors de son procès d’après-guerre.

Plus qu’un roman, ce docu-roman a beau interpréter à sa manière les échanges entre ses prestigieux protagonistes et autres personnages de fiction, les faits sont avérés. Bernard Bacquié s’appuie sur du solide comme l’acier d’un Breguet 14 ou d’un Laté 26. Il connaît sur le bout de ses doigts de pilote expérimenté tout ce qui a été dit ou écrit sur le sujet qu’il affectionne tant : l’histoire des anciens. Il recoupe les témoignages d’époques, les versions d’écrivains, les documents d’archives et les photographies pour faire se croiser de réels destins à des carrefours souvent historiques, parfois imaginaires. L’auteur-pilote a sa licence poétique pour inventer des plans de vol au dessus d’un Western Talara avec : le bon Gourp, la brute Ould Hadj Rab et ces truands de R’Gueïbat. Les machines volantes aussi gracieuses que capricieuses, les chameaux des Maures et les troublantes Arabes dévoilées y jouent les rôles des locomotives, chevaux de cow-boys et autres belles de saloon du grand Far West.

Mon avion va bientôt se poser sur la piste de l’aéroport de Nice. J’attrape le Libé du jour à peine entre ouvert. Tiens le Sahel fait sa une. Même territoire, autres tribus. Les conflits de sang ou de sol changent de poignes. Les otages ne sont plus ces pilotes livreurs de courrier mais des humanitaires porteurs d’idéaux. Leurs libérateurs n’ont rien des frères d’équipage d’antan prêts à mourir pour sauver la vie d’un des leurs. Ils sont militaires, n’ont jamais rencontré les victimes ou leurs bourreaux, sont armés jusqu’aux dents et c’est pas pour mordre la poussière. Le désert avance et le vent des Fortunes de sable continue de souffler.

Diane Tell