Kriss Graffiti – Portrait

Publié le 1 janvier 1996

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Kriss Graffiti
(écrivain, journaliste sur France Inter)
« Diane Tell est une créature qui a voulu devenir Créateur.
C’est un très grand blasphème dans le monde où nous vivons mais qui aurait pu lui être pardonné si elle n’avait poursuivi sa course vers l’abîme en y ajoutant d’autres forfaits, plus terribles les uns que les autres. Quelques exemples suffiront à vous permettre d’évaluer l’étendue de ses fautes.
Pendant que son interprétation de La légende de Jimmy restait 26 semaines au Top 50, elle citait publiquement Platon qui n’est pas, comme je l’avais d’abord cru, un choriste des Queen, mais un philosophe grec né 600 ans avant JC.
Vous avez entendu La Folie? Sur le dos d’un dinosaure s’est posée une alouette… L’alouette pécheresse s’est installée sur le monstre Show-Bizz c’est Diane, qui préfère l’écriture et la composition à l’exhibition en scène, et la cohérence avec elle-même aux arrangements faciles et aux tentations lucratives.
Mais la liste de ses crimes ne s’arrête pas là, c’est à peine croyable, Diane a quitté papa maman depuis l’âge de seize ans, et personne ne l’a dénoncée à la DDASS ou au juge des mineurs? On devrait la priver de télé pour la punir ! Impossible, elle ne communie pas avec les enchaînés, elle ne bronze pas devant l’écran chaotique. En un mot, ELLE N’A PAS DE TÉLÉ !!! Pire encore, elle préfère les librairies et elle est capable de lire plusieurs heures de suite SANS Y ETRE OBLIGEE !!!
Non, je ne peux pas continuer l’énumération de ses comportements asociaux, car cela pourrait provoquer des troubles de l’ordre public. Je ne vous dirai donc rien de sa vieille voiture brinquebalante, garée en pente pour pouvoir démarrer, ni des rendez vous qu’elle annule
les jours de pluie de peur de rester en rade. Je ne veux rien savoir non plus de la maison qu’elle bricole et repeint de couleurs vives à longueur de saisons, des collages qu’elle poursuit à l’encontre de
la « façon de vivre » socialement correcte.

Messieurs les jurés, vous savez maintenant à quel monstre vous avez à faire. Le procureur de la République requiert à l’encontre de l’accusée une vie de travaux d’intérêt public, consistant à gratter
le vernis des hommes qu’elle rencontre pour voir ce qu’il y a dessous. Affaire jugée ? Pas si sûr, car…
…quand on écoute la voix de Diane Tell, alchimie de murmures de jeune fille et de sensualité de femme, on est poussé à l’indulgence. La finesse de ses compositions (mais oui mais oui c’est elle qui compose), la douceur nostalgique ou enflammée de son interprétation, la force à vivre qui jaillit d’elle nous surprennent, au point qu’on oublie ses péchés et ses chagrins. Les mots de Diane sont comme les baisers doux amers qu’on échange avec la mer, juste après que l’écume de la vague soit passée sur nos têtes.
Qu’arrive t il donc dans ce monde entre ces électrons si différents, les femmes et les hommes ? « Ça devrait marcher, ça ne marche pas toujours… » Et puisqu’elle aime les philosophes et qu’elle est curieuse des idées, j’ai envie de lui répéter ce qu’inspirait à Lacan, grand psychanalyste devant l’éternel de nos inconscients, la question suivante : Vous qui avez entendu les témoignages intimes de milliers d’hommes et de femmes, qu’en retenez vous ? Après un long silence, il avait répondu « Je crois avoir compris qu’entre les hommes et les femmes euh quelque chose ne marche pas. »

Alors, on lui pardonne Platon et Alain, on ne lui en veut plus de n’avoir pas regardé le dernier assassinat en direct à la télé, on oublie Anglet et la frontière si proche, sa voiture nase, sa passion pour les films russes, les taches de peinture sur ses mains, toutes ses révoltes émouvantes et surtout de voir si clairement dans nos coeurs mis à nu, en nous montrant le sien.
Diane Tell, c’est le contraire de l’esbroufe. »