No Mag ! Le 8 juin 2010 – interview

Publié le 10 juin 2010

DIANE TELL: FAIRE À NOUVEAU CONNAISSANCE

Diane Tell a toujours exercé une fascination sur moi. À cause de cette voix mutine, à la Gall et Farmer, voire Cœur de pirate pour faire tendance… malgré que Tell ait, du lot, le plus de coffre pour soutenir ses petits bijoux de tounes.

D’ailleurs, parlons-en de ses chansons. Elles sont bonnes. Pourtant, si mes souvenirs hauts comme trois pommes ne me font pas trop défaut, il me semble qu’à une certaine époque d’aucuns balayaient son succès d’un revers pas clair, évoquant du même souffle sa supposée allégeance à la France vis-à-vis du Québec.

Diane Tell 3 crédit Raphaël Ouellet1 DIANE TELL: FAIRE À NOUVEAU CONNAISSANCE

Auteure, compositrice, interprète, mais aussi réalisatrice et productrice et maintenant conceptrice d’un projet qui a abouti en Docteur Boris et Mister Vian, un disque de standards jazz dont les textes ont été adaptés par Vian lui-même, Tell est une vraie self-made woman. Ayant grandi à Val d’Or, elle démarre sa formation musicale au violon à six ans, déménage à New York pour enregistrer deux albums avant de percer avec les tubes que l’on connaît, Si j’étais un homme en tête, puis en 1983 élit domicile en France. Elle habite aujourd’hui Biarritz avec son mari épicier, en marge du star système mais toujours à l’affût de nouvelles idées musicales.

Avant notre rencontre de ce matin, j’avais des raisons de penser que ce serait une femme secrète et précautionneuse que j’allais rencontrer. Que nenni.

C’est une rencontre avec le frère de Vian qui vous a amenée à faire ce disque?

J’ai rencontré Alain Vian pour acheter un orgue de Barbarie. Il était spécialiste d’instruments anciens, il avait une boutique. C’était au début des années ‘90. On a discuté, je connaissais Vian l’auteur de livres, et ses chansons comme tout le monde, mais Alain m’a parlé d’inédits… diane tell docteur boris et mister vian DIANE TELL: FAIRE À NOUVEAU CONNAISSANCE On s’est perdus de vue, il est décédé, mais après cet entretien j’ai fait construire l’orgue de Barbarie là où il m’avait conseillé d’aller, et j’ai quand même acheté un recueil de chansons de Vian. Cinq cent chansons publiées dans un recueil de Christian Bourgeois. Sur les 500, j’avais dû en rater 480! J’en connaissais très peu au final…

Quand en 2007 j’ai décidé de faire un album de jazz, et de le faire en français, j’ai cherché dans un premier temps à suivre toutes les pistes qui pouvaient me mener à un répertoire. Donc évidemment Michel Legrand, Claude Nougaro, mais ça faisait un peu pot-pourri tout ça. Je voulais trouver une idée nouvelle. Je suis donc repartie de Boris Vian et j’ai découvert entre 30 et 40 adaptations de grands standards américains qui n’avaient jamais été chantés. Ç’a été le coup de foudre. Les textes étaient tellement jolis, à la fois simples et poétiques, pas trop… ampoulés. Ç’a été le début de cette histoire, j’ai appris les textes et les chansons à la guitare.

D’ailleurs vous avez étudié la guitare jazz au Cégep Saint-Laurent, vous avez tourné avec Uzeb au début de votre carrière, interprété des standards jazz dans les bars aussi…

J’ai pas fait beaucoup de standards. J’ai toujours été auteur-compositeur. Le premier spectacle que j’ai fait, c’était avec mes chansons. Mais elles étaient jazz. Ceux qui me connaissent savent que c’est un style de musique qui m’est proche depuis toujours.

Trouvez-vous que le jazz permet une plus grande fantaisie dans l’interprétation que la chanson?

Rien n’est facile! Mais ce qui est beau dans le jazz – qui a priori est une musique instrumentale -, dans le chant du jazz, ce sont ces standards qui émanent des comédies musicales des années ‘30, ‘40 ou ‘50. On fera une pièce en spectacle dimanche qui n’est pas sur l’album d’ailleurs, I’ve Got It Bad and That Ain’t Good de Duke Ellington, qui devient J’suis mordu en français, et qui est un morceau extrait d’une comédie musicale écrite par Ellington en 1946. Il faut se replacer à l’époque de Vian. En ‘58, ‘59, il y a des chanteurs de jazz mais on part du ballroom.

Diane Tell 2 crédit Raphaël Ouellet DIANE TELL: FAIRE À NOUVEAU CONNAISSANCE Conservatoire à six ans, vous n’avez pas cessé depuis votre parcours dans la musique… Mais quand exactement avez-vous trouvé votre voie?

Ma voix, ou ma voie?

Les deux; quand avez-vous découvert votre voix, et décidé que vous alliez faire carrière en musique?

Bien à six ans oui, ç’a été le conservatoire. Un ami de mon père voulait absolument ouvrir un conservatoire à Val d’Or et il fallait un minimum d’enfants, 26 je crois pour ouvrir. La voix, ç’a été à 12 ans. J’ai commencé à chanter et à écrire des chansons. J’ai tout de suite su que j’avais une affinité pour le métier de compositeur. Ça n’était pas mon but du tout de devenir chanteuse, je voulais devenir musicienne. Mais j’ai tout de suite compris que j’allais trouver du travail plus rapidement en tant qu’auteur-compositeur-interprète qu’en tant que guitariste. Ça restait un peu fermé aux filles à l’époque, ce qui est de moins en moins le cas.

Au-delà des chansons, vous avez aussi fait de la réalisation, de la production, pour ce projet-ci vous êtes aussi conceptrice et, j’imagine, un peu directrice musicale avec Laurent de Wilde?

Oui, j’ai conçu et réalisé cet album, et Laurent a créé tous les arrangements.

Et tous ces chapeaux que vous avez portés au long de votre carrière, était-ce parce que c’était important pour vous de garder un certain contrôle?

Oui. Pour avoir plus de liberté, mais aussi pour conserver son patrimoine. Le fait d’être éditeur-producteur de mes disques me permet aujourd’hui de gérer mon passé et d’en être le seul propriétaire. À part quelques deals qui ont été faits par-ci par-là, on peut dire que ce que j’ai fait dans ma vie aujourd’hui m’appartient. Je ne suis pas très riche, mais ça me permet de pouvoir réinvestir dans le projet suivant. C’est comme ça que j’ai pu continuer aussi longtemps.

Côté show business, sur votre site on trouve un billet assez drôle, Le showbizz pour les nuls, qui fait étalage des contradictions du milieu. Quelle est la plus grande contradiction que vous avez vécue ou que vous avez vue?

Peut-être ce que j’appellerais le «jamais d’acquis». Même si tu as une notoriété, il n’y a pas de hiérarchie, tu es toujours à la case départ, à devoir convaincre les gens autour du bien-fondé d’un projet. Un employé va devenir cadre, puis patron, tandis que moi, je fais un projet comme ça, et ça ne m’empêche pas de devoir rencontrer 15 maisons de disques et d’essuyer des refus alors que c’est un beau projet pas très coûteux. Et ça, c’est très paradoxal. La flatterie est très présente, mais très souvent rien n’en ressort.

Voyez-vous des différences entre le Québec et la France?

Oh oui. Les gens ne travaillent pas du tout de la même façon… C’est beaucoup plus long là-bas d’installer quelque chose. Ici ça va plus vite. Aussi, là-bas, un autre paradoxe, les gens installés dans leur notoriété sont in-dé-lo-gea-bles. Par exemple, je suis arrivée en France en 1983 et les politiciens en place alors,  à part ceux qui sont décédés, y sont toujours. C’est un milieu de réseaux la France. Pour exister, il faut faire partie d’un réseau.

Et vous avez décidé d’élire domicile ailleurs qu’à Paris.

Je suis à Biarritz, et je suis franc-tireur. J’ai pas l’habitude des réseaux. L’éducation ici [au Québec] va selon: tu te fais toi-même et une fois que tu as réussi, tu remercies les gens qui t’ont aidé en continuant de travailler avec eux. Mais en France, on commence par créer des relations et ensuite tu travailles. Si on compare le Québec avec un pays dont la population est équivalente, comme la Belgique, on n’imagine pas la créativité qu’il y a au Québec par rapport à ailleurs. De vraie création, et d’artistes originaux. J’espère avoir conservé quelques gènes de ça!

Vous chanterez aussi au Festival d’été de Québec en juillet après votre spectacle des Francos, allez-vous rester ici entre les deux?

Je serai au Festival d’été pour le spectacle d’ouverture. Il y aura sept artistes français, et sept artistes québécois – ils m’ont mis dans les Québécois alors j’étais contente. (rires) Je quitte après les Francos et je reviens pour ça, et ensuite je reviens au mois d’août pour le 75e anniversaire de la ville de Val d’Or.

Diane Tell au Théâtre Maisonneuve le dimanche 13 juin dans le cadre des FranFolies de Montréal, avec Andrea Lindsay en première partie.

par Evelyne Côté / photos Raphaël Ouellet

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