Si j’étais un homme – L’épopée d’une pop song

Publié le 24 décembre 2005

Diane Tell au bar Marilyn, backstage de l’Olympia – Paris, en 1983

L’ÉPOPÉE D’UNE POP SONG

L’album Entre nous vient de sortir au Québec. A11 heures AM j’ai rendez-vous à Radio-Canada avec l’homme qui va changer ma vie sans le vouloir ! J’ai oublié le nom, le visage et la fonction exacte de celui qui me confia ce jour-là la flatteuse mission de représenter en tant qu’auteur compositeur le Canada au festival de la chanson de Spa en Belgique! Ni habituée de concours d’amateurs, ni amateur de compétitions professionnelles j’ai tout de même accepté ce rôle d’ambassadrice sans hésiter. Les participants devaient présenter des œuvres inédites. J’entrepris immédiatement la création de 2 nouvelles chansons ! Et c’est grâce à cette proposition de Radio-Canada, que Si j’étais un homme est née !

A cette époque joyeuse, je vivais à New York et c’est sur le bord de la route de Montréal à Manhattan que l’idée, le mélodie, le titre et le sujet me sont venues. Ce sera un slow… J’avais tout en tête mais rien encore de fixé sur la bande ou sur le papier ! L’air à peine ébauché dans la voiture prit la forme d’une chanson au 2350 Broadway où j’habitais, fière comme une fille de 19 ans qui habite une grande avenue d’une ville trop grande pour elle. Fraîchement libérée de l’école de musique du CEGEP St-Laurent de Montréal mais toujours imprégnée de jazz, je n’allais pas coucher sur deux ou trois accords minables mon thème majeur de concours ! Je me suis appliquée. Modulation comprise, la ballade s’étend sur une série de 26 accords et dure près de 5 minutes !

Il est 7 heures PM sur Broadway. Ma chanson terminée, voix chauffée et bières au frais, je fais entrer mon meilleur ami musicien de pallier. Je l’installe sur le divan et lui chante avec ma guitare pour la toute première fois la chose : Si j’étais un homme.  « So ! You like it Michael ? » (M.Holmes, réalisateur de l’album Entre nous) Pour toute réponse, j’ai le souvenir d’un commentaire très flou donnant l’impression très clair qu’il n’avait pas beaucoup aimé ! Ca tombe bien, j’ai écrit cette chanson pour le festival de Spa, pas pour Broadway !

Quelques semaines plus tard : Spa vers 2 heures PM. Quelle ambiance ce festival de Spa ! Show-biz  à l’ancienne, de vraies vedettes de la variété française posent pour les photographes, de vraies attachés de presse se remuent dans tous les coins pour personne, des producteurs accros, des éditeurs reconnus… en pleine expansion, tout le métier se déplace pour ce type d’événement à l’époque ! Je suis venue pour m’amuser et je me régale.

Sur scène au festival de Spa autour de 9 heures PM. L’heure à laquelle je suis programmée. Je vais enfin pouvoir chanter avec un orchestre pour la première fois en public Si j’étais un homme. Je ne sais plus quels autres titres j’ai choisi pour mon premier passage mais je suis passée… au second tour ! Entre les deux prestations j’ai retrouvé un membre du jury québécois que je connaissais bien et nous avons discuté sans gêne du concours. « C’est bien Diane ! C’est bien ! Formidable ! Tu as tes chances ! Ils ont beaucoup aimé ta voix. Tu devrais peut-être remplacer une ou deux chansons pour ton deuxième passage…

– Et quelle chanson dois-je supprimer en priorité d’après toi ?

– Celle qu’ils ont le moins aimée je crois, c’est comment déjà – Si j’étais capitaine – heu, tu vois laquelle ?

– Si j’étais un homme ?

– C’est ça ! C’est celle-là. Remplace-là par une autre chanson et c’est gagné. »

J’ai suivi son conseil, ai éliminé la chanson du capitaine au second tour au terme duquel j’ai été éliminée tout court. J’étais vexée comme une gamine de 19 ans à qui l’on propose un destin trop petit pour elle. Jean Falissard, artiste Barclay à l’époque, remporta en 1980 le grand prix du Festival de Spa avec le hit “Ca va”. Ca tombe bien, je n’ai pas écrit cette chanson pour un jury, je l’ai faite pour les gens ! Et puis il n’y a pas que la Belgique dans la région, il y a Paris et Barclay justement !

4 heures PM dans les bureaux de la maison d’édition Eddy Barclay. Paris enfin. Nous y entrons comme on entre dans l’histoire : par la petite porte toujours entrouverte aux victorieux spécimens à fort potentiel et aux perdants du festival de Spa. A peine entrée dans la pièce ou je suis reçue, j’ouvre solennellement mon étui de guitare et m’apprête à chanter quand l’éditeur qui n’était pas Eddy Barclay m’interpelle :

« Mademoiselle, qu’est-ce que vous faites ? hum ! C’est une… hum… c’est votre guitare ? »

-Il faut bien que je m’accompagne si je veux vous chanter mes nouvelles chansons.

-Vous n’avez pas de bandes ?

-Ah non, la chanson est inédite, je ne l’ai pas enregistré ! C’était la règle du festival !

-Bon bon, allez-y.  »

Il avait l’air gêné des gens qui veulent écourter un rendez-vous sans détruire vos rêves. J’ai fait mon numéro de chanteuse et il a fait son devoir d’éditeur. Il a démontré point par point tout ce qui dans ma chanson n’allait pas et m’en a fait écouter une autre qui elle était parfaite !

Rentrée à Montréal, le doute s’est installée dans ma tête et propagé dans mon entourage. Je ne souhaitais plus enregistrer Si… Et puis, dans la foulée, on m’invita à la télévision pour chanter ce que je veux. J’ai choisi d’interpréter guitare voix Si j’étais un homme pas encore enregistrée. Le présentateur l’a dit. Le public l’a senti. Tout le monde l’a vu à la télé « Wow ». Un vrai succès annoncé, un gros tube bien rond. L’album est sorti lancé comme une flèche il toucha sa cible dans le mil !

Nous avons eu beaucoup de succès ces trois soirs d’automne à la Place des arts. Les Français sont venus au concert puis au restaurant. Nous avons bu beaucoup de champagne et avons signé un contrat pour la France et l’Europe avec les Editions Barclay. Je m’en rappelle parce que  je ne me souviens plus de rien. C’est vous dire l’importance du moment ! Plus qu’inoubliable !

Le 11 mai 1981, l’avion atterrit à l’aéroport Charles de Gaules. Paris s’éveille avec une bonne gueule de bois de gauche. Le bon Mitterrand gagne à la loterie électorale et pour remercier ses fidèles d’avoir joué avec lui le bon numéro, il libère les ondes hertziennes d’un long silence et donne la parole aux citoyens sur les fréquences des radios libres. Le moment est tout bien choisi pour moi d’entrer en campagne dite de promotion. Stéphane Collaro m’invite le premier sur son plateau-show de la SFP et comme il a beaucoup d’esprit et tellement d’humour, il a conçu pour ma chanson un joli décor hollywoodien inspiré d’Autant en emporte le vent ! Rien que ça ! On me propose de m’habiller en Scarlett O’Hara. Je me vexe comme une fille de 20 ans qui ne veut pas y aller. C’est au tour de Michel Drucker de me recevoir, cette fois-ci en live avec 25 musiciens. Magnifique.

On entendit beaucoup d’airs sur les ondes de Paris avant que la chanson ne rencontre son public vraiment. Quatorze ou quinze mois plus tard, la bonne fée Monique Lemarcy eût l’idée salvatrice de me programmer à l’émission   « stop ou encore » sur RTL. Le jeu consiste à demander aux auditeurs de changer le programme musical plutôt que de changer de fréquence et coup de chance pour moi, ils en ont redemandé encore et encore. La chanson est entrée au Hit-Parade. L’Olympia m’ouvrit ses portes.

Si  j’étais un homme, je n’aurais pas écrit cette chanson. Cette chanson que je portais à bout de bras à mes débuts, me porte toujours aujourd’hui. On me répète tout le temps qu’un pareil succès fait de l’ombre à toutes les autres chansons. C’est vrai. Mais y’a pire dans l’existence que de vivre dans l’ombre d’un Soul romantique.

Diane Tell – aout 2011