Le Jeudi – 26 novembre 2009 – Luxembourg

Publié le 27 novembre 2009

Le jeudi - Diane Tell

Vian, tel Diane
ANNIE GASPARD
Entretien avec une Diane Tell qui re-jazze énormément*

Le Jeudi – 26 novembre 2009 (Luxembourg)

Diane l’enchanteresse met Mister Boris en boîte de jazz et ramène Docteur Vian ausculter nos états d’âme, d’amer doux amour à de doux humour amer. On est là pour swinguer…

Ne l’avez-vous pas vu venir cet album pur jazz que Diane toujours plus tell(e) quelle vient nous balancer comme une gifle délicieuse avec son Docteur Boris & Mister Vian* en cette fin d’année 2009 qui clôture les nombreux hommages au génial écrivain – poèteparolier – traducteur – scénariste – pataphysicien – trompettiste qui nous déserta voici 50 ans?

Dans son avant-dernier album Popeline (2004), l’auteure, compositrice et interprète américano-québéco-basquaise (elle vit à Biarritz depuis une vingtaine d’années) n’intitule-t-elle pas sa version française de The Scientist de Coldplay: Reprenons du départ. «Oui, mon premier album de compositions personnelles – j’avais 18 ans – était 100% jazz. La boucle est bouclée aujourd’hui! Il s’agit toutefois ici d’interprétation pure de textes inédits écrits en français par Vian en 1958-1959 sur de grands standards de jazz américains. C’est nouveau pour moi qui suis essentiellement auteure-compositrice».
Nouvel envol…

J’SUIS JAZZ
…d’une abeille qui vole toujours plus haut butiner ses fleurs. «C’est un véritable virage,
en tout cas. Je vais petit à petit continuer dans cette direction parce cela correspond
bien à l’évolution de ma personnalité et de mon goût. Avec la maturité, on a envie de faire passer une autre émotion qu’à 20 ans où on veut casser la baraque. Il ne s’agit plus de chanter des tubes, mais de belles chansons. Je préfère (aimerais) aujourd’hui remplir
le Théâtre des Champs-Elysées que le Zénith». Et Vian tombe à pic? «J’ai de mes origines américaines le goût des mélodies et de la France le goût pour la littérature et la poésie. Je pense avoir trouvé dans ce trésor de Vian le meilleur des deux mondes puisque ce sont des standards de jazz aux mélodies fabuleuses accouplés aux textes extraordinaires de Boris Vian». Nous serons trois/ Lui, toi et moi… Jazz et langue française, un mariage si heureux que cela? «Il y a trois ans quand j’ai commencé à apprendre les chansons de Vian, j’ai réalisé tout de suite qu’il avait tout compris. Auteur de chansons, grand musicien et grand connaisseur de jazz, il savait ce que c’était que de chanter des mots. J’ai chanté avec facilité, sans jamais lutter, ni être obligée de changer le phrasé. Ça coulait, ça sonnait avec la même dynamique que l’anglais, c’était de toute beauté». Et c’est si peu dire que Diane chante Vian. Elle est dans Vian et Vian dans elle, comme si ces deux oiseaux rares avaient écrit ces onze titres à quatre ailes. Mimétisme jubilatoire et envoûtant.

MÉTAMORPHOSES
Histoire de métamorphoses réciproques. Métamorphose de Diane l’artisane très branchée internet qui construit à la pièce – «Je fais un disque pour faire un disque, au jour le jour, et non pour obtenir autre chose, c’est une non-carrière» –, métamorphose de Vian qui prend les traits d’un ange aux yeux profonds et à la voix divine, métamorphose up to date des standards américains de Jerome Kern, Richard Rodgers, Kurt Weill…, métamorphose de Laurent de Wilde, pianiste jazzman XXL et surlettré qui se met avec bonheur à l’accompagnement de chansons et dirige un quartet de rêve et grain de sel du photographe Gérard Rancinan qui, de son objectif magique, transforme tout ce petit monde en un bel et énigmatique insecte mi-zébré mibleu très Docteur Boris et Mister Vian. Métamorphose de celle qui aurait été… romantique et capitaine d’un bateau vert et blanc si elle avait été un homme – «Si ce tube devenu un standard a fait un peu d’ombre au reste, ses revenus m’ont toutefois permis d’être indépendante et notamment de produire cet album Vian». L’occasion heureuse, précieuse et joyeuse, en tout cas, de faire à nouveau connaissance…

* Diane Tell, «Docteur Boris & Mister Vian», Tuta Music/Rue Stendhal, 2009.