La Presse – Le 14 juin 2010 – Alain Brunet – Critique du Concert de la place des arts

Publié le 15 juin 2010

Diane Tell en plein virage… jazz

Alain Brunet
La Presse

En cette soirée dominicale, le parterre était plein, les balcons convenablement garnis d’un auditoire fervent pour ne pas dire comblé. Au terme de son retour jazzy en terre québécoise, Diane Tell pouvait se targuer d’avoir négocié ce virage avec succès.

J’voudrais encore être amoureuse, la première à être interprétée, était l’entrée d’un menu gastronomique à multiples services, pour reprendre la métaphore de la musicienne, et dont l’objet essentiel était à chanter du jazz à la «Maison-neuve». Long menu, indeed, d’une femme qui s’applique à revenir au jazz en formule acoustique. Formule sobre et compétente. J’en imagine déjà froncer les sourcils. Opportunisme? Inéluctable destin des chanteuses pop en quête de marché «adulte»? Dans le cas qui nous occupe, nenni. Férue de jazz depuis l’adolescence, Diane Tell a su choisir un répertoire francisé par feu Boris Vian, en plus de relire ses propres «classiques» en leur conférant une touche jazzistique plus qu’acceptable.

Ainsi, elle a choisi d’attaquer moult standards signés Lorenz Hart, Oscar Hammerstein, Richard Rogers, Harold Arlen, Ted Koehler, Guy Wood, Robert Mellin, Jerome Kern, bref la crème des grandes décennies Broadway, reconvertie en jazz moderne et relue par Vian à la fin des années 50. Inédits pour la plupart, ces textes de haute volée n’ont pas pris une ride.

Les non jazzophiles y verront peut-être une approche surannée, et c’est tant pis pour eux. Les férus du genre, eux, ne pourront nier que cet exercice a été fait dans les règles de l’art. Diane Tell, en tout cas, n’a rien à envier à toutes ces chanteuses ayant conquis leurs parts de marché jazz pop, toutes ces Stacey Kent, Sophie Millman et autres Carol Welsman, pour ne pas nommer Diana Krall. D’accord, cette dernière est une bonne pianiste et peut compter sur d’excellents accompagnateurs. Or, Diane Tell a su qui embaucher : le pianiste français Laurent de Wilde joue mieux que Madame Krall et les collègues québécois embauchés pour cette opération ont atteint un niveau on ne peut plus respectable – Robbie Kuster, batterie, Jean-Sébastien Williams, guitare, Éric Auclair, contrebasse.

Avec quelques petites libertés prises dans les textes de Vian, le nouveau répertoire de Diane Tell trouve même une spontanéité supplémentaire. Voyons voir la suite: Moi sans toi, une chanson de grand optimisme amoureux, Toi qui a pris mon coeur, une des plus grandes chansons d’amour absolu de l’histoire moderne (My One And Only Love), et puis Diane s’en va clopin-clopant avec Ma Chansonnette, pour ensuite se recueillir dans le Nana’s Lied de Kurt Weill – que Diane Dufresne a déjà reprise, rappellera-t-elle en toute honnêteté.

Au début de son spectacle, la chanteuse avait promis de ne pas être bavarde, mais… n’a pu s’empêcher de déployer un long monologue sur le mode Perrette et le pot au lait, évoquant les dividendes potentiels que rapporterait une vie professionnelle plus intense… et se concluant sur une ode aux jours fériés et un swing blues que Vian avait intitulé Rue de la flemme (Easy Street).

Tout ce que veut Lola, jouée sur rythme funk à la Horace Silver, raconte ensuite l’acte de séduction d’une irrésistible conquérante. Et laisse couler les mots comme il le faut. Après le beau temps? La pluie: J’en ai marre de l’amour, superbe ballade déclinée sur un swing lent et des balais qui cajolent la caisse claire. S’ensuit un gospel, un texte de foi: Il tient le monde dans ses mains. Et re-swing avec Lui, toi et moi. Et re-calme avec la suave Vous auriez bien pu. Et ainsi de suite jusqu’aux rappels.

Après l’incontournable Gilberto et une apparition de la collègue Andrea Lindsay (qui assurait la première partie du programme), elle aura repris Si j’étais un homme. Réharmonisée, cette version m’a d’ailleurs semblé nettement supérieur à l’originelle. Après avoir déambulé sur Les trottoirs du Boulevard Saint-Laurent, elle aura conclu avec l’interprétation inédite (sur scène) et jazzifiée de Reste avec moi, chanson que Mouffe et François Dompierre avaient créée pour le film Bonheur d’occasion.

De manière générale, la Québécoise de Biarritz aura trouvé le juste équilibre dans le ton, le phrasé, les nuances d’intensité, la délicatesse de la prononciation. Chanteuse de jazz, Diane Tell? Peut-être pas, mais elle devra songer sérieusement… à faire durer le plaisir!

PLUS PLUS – RETOUR SUR LES FRANCOS

ALAIN BRUNET – LA PRESSE

Quant aux concerts, voici mes cinq préférés. D’abord Gaëtan Roussel, au sommet de son art. En deuxième, la performance en version sale de Jean-Louis Murat, enfin à la hauteur de ses albums. En troisième lieu, le retour en force de Salif Keita et sa formation très roots, d’une puissance incroyable. En quatrième, le retour de Mara Tremblay et ses guitaristes préférés. En cinquième, le retour au jazz de Diane Tell, superbes textes de Vian à l’appui. On passe à un autre sujet?

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