Journal d’Afrique (quatrième partie)

Publié le 13 décembre 1996

Africa 04J16 – Simenti-St-Louis
Lever tôt, café chaud, la fraîcheur surprend. Nous avions pris nos habitudes tropicales. Les gardiens nous emmènent par petits groupes entassés dans des camionnettes sur la piste des animaux sauvages du parc. Notre guide fouille d’un malin regard les zones d’ombre à l’affût du moindre mouvement de branche. On ne craint pas ici l’assaut agressif des lions ou des panthères, les bêtes comme leurs protecteurs guettent la silhouette des braconniers, redoutable et dangereuse espèce humaine. Des dizaines de gardes furent assassinés ces dernières années. D’un côté comme de l’autre on tire à vue. A chaque arrêt du moteur, la présence sonore de la faune laisse espérer d’heureuses rencontres. Sans plus attendre, une famille de phacochères anthracites à crinière d’allure préhistorique, des cobes defassa ou cobes onctueux, des antilopes harnachées (ourebi), des babouins curieux de toutes les tailles, des pintades folles. A la cime des arbres, un aigle bateleur immature, des merles métalliques bleus à longue queue, des reliers et le grand calaon d’Abyssinie. Sur les berges du fleuve, les varans et les crocodiles se prélassent luisants au soleil.

Suivant les ondulations du fleuve de la Gambie jusqu’à Tambacounda, nous nous dirigeons vers Linguère puis descendons dans la vallée du Ferlo pour une autre géniale séance de radada, puis rejoignons St-Louis, la plus ancienne capitale française de l’Afrique de l’ouest et dernière étape de l’Aéropostale avant Caracas en Amérique du Sud. Pour nous, cette escale marque le début du retour vers l’Europe et notre dernière nuit en Afrique noire

J17 – St-Louis
St-Louis du… …Sénégalère. La nuit dernière, on a plumé notre avion taf-taf (vite fait). Un individu d’identité ça-m’est-égalaise a tout simplement enfoncé son poing fatal dans la verrière. On s’est fait pigeonné par la sécurité oiseuse aéroportuaire. Dévalisée la valise de premiers soins, picorée ma réserve de nourriture, volatilisés les documents de navigations et surtout, l’irremplaçable, piqués-niqués toutes les pellicules et les enregistrements. Je m’ébaudissais à l’avance de revisiter plus tard en son et images ce délice au pays des mers tièdes. Flash-back du film déprogrammé: visages Gormachés sublimes, lumière en flammes sur la Savane, Touaregs royaux impassibles, regards purs d’enfants jouant sans jouet, tête miraculée de vieux chef sur sa tribune, ciels saillants, dentelles de dunes, photos volées sur le vif… . j’allucine.

Africa 06Ce soir j’ai la mémoire cafardeuse. « Amoul solo » ce n’est pas grave me dit un Sénégalais compatissant à qui je débobine mon rouleau. « C’est un ndogual, un sacrifice qui te préservera d’un plus grand malheur à venir ! » Je me refais un moral legi-legi (tout de suite). Ce serait un sacrilège de louper St-Louis, la musique somnambule, la prière réveil-matin, la langue de Barbarie pendue à la plage, le rose du ciel dégoulinant sur les façades coloniales, la splendeur impertinente des femmes jouant si bien de la croupe, la fierté débonnaire des blacks aussi collants qu’attachants, l’hôtel de la poste hanté des fantômes-as- du-piqué de Daurat, Mermoz, St-Ex. et autres aviateurs épinglés au tableau d’honneur du relais.

Ndogual. Nos ennuis de délestage battent de l’envergure à côté du manque à combler d’urgence ici. Nous déposons au Sénégal les deux derniers projets humanitaires financés par le raid : l’installation d’éoliennes destinées à l’extraction d’eau et la restauration à venir d’un quartier défavorisé d’Abidjan. La grande misère comme à la télé nous raconte l’équipage de Michel Perreira et Michel Baumgartner de retour des lieux du crime contre la civilisation.

J18 – St-Louis-Nouadhibou-Gran Canaria
A peine sorti de la CTR de St-Louis, la côte mauritanienne s’étire jusqu’au parc national du Banc d’Arguin au sud de Nouadhibou. Depuis la fermeture en Algérie de la route trans-saharienne, Nouadhibou est devenue le point d’entrée (pour nous de sortie) de l’Afrique de l’ouest.

Vol en patrouille le long des plages de l’Aftoût es Sâheli couvertes de centaines de milliers de crabes. Ballet de dauphins à la limite sud du Banc, site où fit naufrage la Méduse qui inspira à Géricault son fameux Radeau. Une masse étendue de flamants ondule comme une aurore boréale à quelques mètres des hauts fonds marbrés entre profondeur aquatique et désert à l’infini. Depuis le Cap Blanc nous longeons la côte du Sahara Occidental jusqu’au Cap Bojador d’où nous entamons notre traversée vers El Berriel au pied des montagnes de Gran Canaria.

Des véliplanchistes se régalent à proximité du seuil de la piste soufflée par un vent de 15 à 20 kts dans l’axe. Les yeux rivés sur les petites voiles de couleurs vives, j’ai grand peine à me concentrer sur mon « poser ». Le luxe européen cristallise le coeur et l’air embaumé du parfum du retour. Nous regrettons les voitures déglinguées sans frein des taxis africains, les salles de bain précaires, la chaleur suffocante des cases en taule, le bruit incessant des nuits sous les étoiles et surtout la beauté souriante du peuple noir.

J19 – Grand Canaria-Agadir-Casablanca
Les pilotes de monomoteurs, en particulier à ailes hautes et non munis de trains rentrants ne raffolent pas des longues traversées maritimes. Une panne forçant l’amerrissage se termine presque toujours en fatalité. Le ciel couvert sur l’océan atténue le malaise en partie psychologique. Nous retrouvons le beau soleil fixe et la terre ferme à Cap Juby au Maroc et filons sur Casablanca avant la chute de la nuit. Surfeurs comme sortis du fameux Endless Summer dans la région de Dar-Bouâssa . Je calcule mentalement les dimensions de la cabine de l’avion…à suivre…

Nos arrivées sur les aérodromes internationaux sont souvent « cacastrophiques ». L’anarchie des vols VFR perturbent le train-train des contrôleurs aériens habitués aux circuits réglés des avions de ligne IFR. 23 mouches sur une toile bien tissée ça fait désordre. On éprouve toujours un certain soulagement quand se pose en fin de journée le dernier d’entre nous. On peut imaginer…

Ce soir, nous dînons une dernière fois tous ensemble à la marocaine. Echanges de prix et remises d’adresses. Les Belges arrachent l’Ocar de l’équipage le plus apprécié du groupe et Louis Mouton, ancien pilote d’Air France, le Nobel de l’équipage s’étant le mieux documenté sur les pays traversés. Certains prennent d’ores et déjà rendez-vous pour l’an prochain. J’y vais de ma petite chanson togolaise a capella en guise de discours tralala de la marraine.

J20 – Casablanca-Alicante-Perpignan
La caravane se disloque, chacun choisissant son parcours vers son aéroport d’attache. La météo capricieuse nous dicte notre alternative. A peine Casa hors de vue, une masse nuageuse au ras du sol nous barre la route de la côte vers Tanger. Nous décidons de percer la couche, le relief s’élevant à plus de 2400 mètres. Le Suisse Jean-Fred, nous assure qu’à partir du niveau 100, on commence à y voir bleu. Notre vaisseau ailé peine à grimper jusqu’au niveau 115 (11 500 ft.). La montée s’éternise et les risques de givrage augmentent dangereusement mais nous tenons bon notre cap jusqu’au ciel translucide.

On ne pourra redescendre des « nues-ages » qu’en vue de la côte espagnole par chance partiellement dégagée. Courte halte à Alicante pour prendre la météo (enfin! ) et ravitailler.  » Partez » nous dit le spécialiste, « demain il neige ici ! ». Cap sur Perpignan dans l’impossibilité d’entreprendre une directe sur Toulouse par les Pyrénées sous l’emprise d’un front chaud stationnaire et menaçant. A l’approche de Barcelone, le temps se regâte de plus belle. Certains avions resteront cloués au nid en Espagne. Nous passons de justesse à 500 ft sur la mer entre grains et rafales.

Papillons dans les jambes, noeuds à l’estomac. 16 H TU, un vent fort favorable mais turbulent nous catapulte sur Perpignan à 135-145kts de vitesse sol. Un record pour le VB qui par vent calme ne dépasse pas les 110-115 kts en palier. Le ciel s’obscurcit. Et la nuit qui tombe comme une pierre, comme la pluie, comme les minutes, comme un avion du ciel. La côte illuminée trace la route sur notre gauche. Les flashes réguliers de l’anticollision tapent foudroyants sur l’aile trempée. Plein phare, tableau de bord en veilleuse, nous fonçons vers l’aéroport. J’ai trop peu d’expérience pour avoir peur, mais Gaby cache à peine un léger stress. On se calme, la piste apparaît balisée dans le noir. Nous nous posons à 16:48 TU, sous la pluie, dans le vent, juste 3 petites minutes après la nuit aéronautique. Michel Perreira, sa femme Antonia, Hugues et Jérémie nous attendent dehors trempés mais rassurés.

Epilogue
Nous abandonnons ici le navire. L’arrivée des « héronautiques » sur le terrain de BTZ envisagée par plusieurs équipages n’aura pas lieu. On chausse nos pneumatiques pour franchir le dernier tronçon, pas mécontents de subir au sol le mauvais caractère du temps. Le plafond par endroit passe sous la barre des 100 ft. Le ciel s’épaissit jusqu’au niveau 350. Mieux vaut rentrer penaud que peiner en haut.
Je passe à la boulangerie, la petite mitronne me trouvant bonne mie-mine (enfarinée tout de même) me dit :
« Alors, on revient du ski ?
– Non, je reviens du sky ! »
Et de loin !

Diane Tell – Afrique/Anglet – 1996

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