Guitar Unplugged N° 29 du 14 Septembre 2013 – INTERVIEW

Publié le 16 septembre 2013

 Guitar Unplugged

 (Le magazine Guitar Unplugged N° 29  est en vente dès aujourd’hui en France mais aussi au Québec !)

DIANE TELL

Faire un peu plus connaissance

Par Benoît Merlin – Guitar Unplugged N° 29 du 14 Septembre 2013

A l’occasion de la sortie de son album Une, une superbe compilation de ses principaux tubes épurés à la formule guitare voix, nous avons rencontré Diane chez elle, à Biarritz. Auteur-compositeur-interprète, ex-égérie des majors devenue productrice indépendante, mais aussi photographe et pilote d’avion à ses heures perdues, la Québécoise sans casseroles mais bondissante est une self-made woman qui n’a pas sa langue dans sa poche.

A noter que Diane Tell sortira un best of avec des inédits, intitulé Passé simple, le 14 octobre.

Mise en page 1

L’ALBUM UNE

(Disponible en version numérique depuis mars dernier, mais dans les bacs cet automne. Il est déjà disponible en CD sur son site : www.dianetell.com et chez Renaud Bray.)

L’idée de cet album vient du fait que j’avais envie que les gens puissent réécouter chez eux ce qu’ils avaient entendu sur scène. En outre, quand on a une longue carrière comme la mienne, certains arrangements de chansons ont du mal à passer l’épreuve du temps ; tu aimes bien le morceau mais l’orchestration ne te plaît plus vraiment, car c’est dans l’arrangement que les artistes posent le style de l’époque. Parfois, cet arrangement vieillit mal, comme un homme qui ne marque pas trop malgré les années, mais s’il remet les fringues qu’il portait trente ans auparavant, tu vas voir le décalage ! C’est particulièrement vrai pour les chansons datant du milieu des années 80 jusqu’aux années 90, une époque marquée par les synthétiseurs, les boîtes à rythmes, les gadgets numériques, un tas de jouets rigolos. Par exemple, j’avais très envie de retravailler « Faire à nouveau connaissance », avec ce très beau texte de Françoise Hardy, car je trouvais que l’arrangement avait mal vieilli, notamment la partie de batterie qui cogne. Il faut dire que dans les années 80, on était « full power » ! (rire) Bref, j’ai posé un autre regard sur ces titres et gommé toutes les traces d’un temps révolu pour rendre ces chansons intemporelles.

LES PREMIERS GIGS

(A 16 ans, Diane assurait toutes les parties de ses spectacles toute seule (contrats, matériel, sono…) et faisait la tournée des bars et des clubs)

Je n’avais pas le choix ! J’ai une anecdote : quand j’animais l’émission de radio Les Louves sur France Inter, j’avais interviewé Florence Arthaud. Je lui ai demandé pourquoi elle était devenue navigateur en solitaire ; elle m’a répondu qu’elle n’avait pas le choix car les mecs ne l’embarquaient jamais sur leurs bateaux… Idem pour moi : à 16-17 ans, je pouvais trouver du boulot dans les « boîtes à chansons » tant que je reprenais un répertoire donné, mais ça m’ennuyait car j’écrivais mes propres chansons. Or, à l’époque, cela ne se faisait pas ! J’ai été la première auteur-compositeur-interprète à véritablement percer au Québec. Et je te parle de quatre albums écrits de A à Z ; aucun guitariste ne m’a donné un coup de main derrière ! J’ai fait mes premiers shows à l’âge de 12 ans, mes premiers gigs payants à 16 ans, je m’étais même confectionné de faux papiers! (rire) J’étais une fille, je donnais des concerts dans des bars où il n’y avait pas de musique, l’idée était originale, mais j’ai essuyé quelques plâtres…

LA GUITARE CLASSIQUE

J’ai commencé le conservatoire de Montréal à l’âge de 6 ans, avec Marie Prével, puis je me suis plongée dans le jazz. Plus tard, quand je suis arrivée à l’audition pour intégrer une sorte de « college of music », le Cégep de Saint-Laurent, il y avait une queue pas possible pour le prof de guitare électrique et quasi personne pour la classique ; je me suis glissée dans cette première file. Il n’y avait que des mecs, des fans de heavy metal avec des cheveux longs. Le prof, Sam Balderman, m’a interpelée : « vous vous trompez de file mademoiselle, la guitare classique, c’est de l’autre côté! » Je ne me suis pas démontée et lui ai joué une pièce classique pour lui montrer mon niveau ; il m’a trouvé gonflée, m’a acceptée dans son cours puis chouchoutée. Ce sont les profs qui te font aimer ou non le conservatoire. Ils m’ont aiguillée, fait comprendre que le répertoire classique n’était pas vraiment le mien, qu’il valait mieux que je m’oriente vers le jazz et la composition.

SA « THÉRAPIE D’ADOLESCENTE » ?

(Dès l’âge de 11 ans, Diane fait passer des messages à ses parents dans ses chansons, ce qu’elle appelle sa « thérapie d’adolescente »)

Contrairement à mon époque, les ados d’aujourd’hui disposent de tous les outils pour s’exprimer (smartphones, réseaux sociaux) et créer, grâce aux logiciels de MAO, de photo, vidéo etc. Quand j’avais 12 ans, après le divorce de mes parents, je me suis retrouvée dans un petit appartement à Montréal, dans la même chambre que ma mère. A cet âge-là, ce n’est pas la joie… Bref, ça a été fugue sur fugue et surtout la musique pour pouvoir m’évader.

LE CLICHÉ ÉNERVANT

Quand les gens ont une image de toi, il est impossible de la changer. Aujourd’hui encore, beaucoup de personnes me félicitent d’avoir joué dans Starmania, alors que je n’ai jamais chanté, même sous ma douche, une chanson de cette comédie musicale! Mais c’est comme ça, c’est gravé dans leur esprit. Pendant des années, je leur expliquais qu’ils confondaient La légende de Jimmy et Starmania, ou me prenait pour Diane Dufresne… Aujourd’hui, je leur réponds : « ça vous a plu ? Super ! »

DES MAJORS . . .

J’ai longtemps travaillé dans les majors, qui savent très bien exploiter ton catalogue en lançant des best of et des compilations à tout-va… J’ai connu de belles expériences, mais leur façon de fonctionner, c’est de donner un gros coup sur toi, avant de vite passer à autre chose. L’intérêt, c’est que tu sais au moment où tu signes ton contrat dans quoi tu t’embarques. Tu n’auras jamais de problèmes pour toucher des royalties, c’est carré, elles n’ont pas le temps de tricher. C’est une grosse machine où tu n’existes pas, il y a beaucoup de gens qui s’occupent de toi, mais tu es avant tout une ligne de comptabilité.

. . . À L’INDÉPENDANCE

J’ai connu quelques galères à mes débuts, quelques escrocs, donc j’ai voulu gérer ma carrière de A à Z, devenir productrice en lançant Tuta Music. J’ai mis 25 ans à récupérer mon « back catalogue », et je le possède entièrement depuis seulement un an ! Si je n’étais pas indépendante, je ne chanterais plus, j’en suis convaincue. Dans le futur, les majors vont se contenter de gérer les catalogues de leurs artistes locomotives, ils ne s’occupent déjà plus de créativité et ne signent que des groupes développés par des labels indépendants. A l’image des start-up qui cartonnent à un moment et qui, dans la foulée, se font racheter à prix d’or par un businessman au sourire magnifique, avec la bouteille de champagne et quelques millions. (rire) Les indépendants ont plus de chances de résister à la crise, à condition qu’ils aient conservé leurs droits. Par exemple, ça me gonflerait de prendre tous les risques et tous les frais de la sortie de mon nouvel album, et que ce soit une major qui vende mon catalogue. Personnellement, je ne cherche pas à le booster pour le revendre à une major, mais un modèle viable à long terme.

LE PAYS BASQUE . . .

(Diane vit dans le Pays basque depuis 1988. Elle s’est mariée avec Pierre Arostéguy en 2004, propriétaire de la fameuse Maison Arostéguy, l’un des traiteurs les plus courus de la région) J’aime le fait que les Basques bousculent un peu la culture franco-française, j’apprécie leur côté frontalier, cela doit venir de mon parcours d’émigrée. J’aime aussi l’océan, l’horizon, la possibilité de prendre un bateau pour partir… En venant dans ce pays, on ne peut pas occulter une culture aussi forte, mais, inversement, croire que l’on deviendra Basque. On peut être sympathisant basque, aimer et défendre sa culture, ses chants, mais on ne le deviendra pas, il faut rester humble. Je suis Québécoise, issue d’un peuple colonisé, tout comme le peuple basque ; il faut l’avoir vécu pour comprendre ce qu’on ressent. Aujourd’hui, c’est devenu une valeur, ce phénomène à la mode du retour aux sources, il existe des écoles bilingues, les « ikastolas », mais je connais des gens de quarante ans à qui on interdisait de parler basque à la maison ! Je suis foncièrement indépendantiste.

. . . ET SA CÔTE DE STARS

On ne les voit pas ! Une anecdote : il y a deux ans, je me retrouve coincée dans un bouchon près d’un centre commercial, je conduisais la camionnette bleue de l’entreprise de mon mari. Tout à coup, une femme sort de sa voiture, se précipite vers moi et me hurle dessus : « c’est à cause de gens comme vous qu’on est dans la merde avec ces embouteillages ! » J’habite la région depuis vingt-huit ans, mais c’est comme si j’avais emmené Vincent Cassel et toutes les stars dans mon panier de courses ! Il faut arrêter de tout mélanger : Cassel doit louer une petite maison retirée dans les terres pour être tranquille, en famille, il va plutôt éviter la foule. Les stars ne nuisent à personne, elles ne font que ramener du pognon à la région.

PHOTOGRAPHIE & JOURNALISME

(En 2006, Diane a animé l’émission « Les Louves » sur France Inter, pour laquelle elle interviewait des femmes indépendantes. Aujourd’hui, elle publie sur son site une rubrique « Si j’étais journaliste » dédiée à l’industrie du disque)

J’aurais adoré être grand reporter et j’aime écrire des chroniques, notamment sur les métiers de la musique car, à une époque où le droit d’auteur est durement remis en question, on me pose beaucoup de questions et je lis beaucoup de conneries ! Ma première chronique concernait la copie privée, une exception au droit d’auteur qui existe depuis les années 60, mais reste très mal perçue. J’en ai marre d’entendre toujours ces vieilles rengaines sur les artistes voleurs, gavés de fric, subventionnés. C’est l’inverse ! L’artiste est plus à l’image du geek qui lance sa start-up sans être payé. Quand tu vois les queues démentielles devant les Apple Stores de gens qui achètent des téléphones à 700 euros, qu’ils vont gaver de musique téléchargée illégalement ou à peine rémunérée… il faut arrêter l’hypocrisie ! Voilà pourquoi j’essaie d’informer sur ce business mal compris.