AAH ! LES DEFERLANTES – Critique du concert à Portes-Lès-Valence

Publié le 29 mars 2012

Jeudi 29 mars 2012
Par Albert Weber – I Photos – D.Tell

AAH ! LES DEFERLANTES ! : Diane Tell et Yves Lambert, efficaces locomotives au Train-Théâtre

Première soirée toute en contraste pour la 3ème édition de AAH ! Les Déferlantes !, festival de chansons francophones organisé par le Train-Théâtre à Portes-Lès-Valence. Un contraste d’autant plus saisissant que les univers musicaux et les références artistiques de Diane Tell et Yves Lambert sont vraiment très différentes. Avec cependant une évidence affichée tout au long de cette soirée offerte à un public enthousiaste dans la salle dirigée par Luc Sotiras : la fierté d’être québécois.

« Non, il n’y a pas que le sirop d’érable et l’accent au Québec »

Cette fierté, Diane Tell la cultive avec une douceur qui n’a rien de mièvre, et une détermination qui n’a rien d’agressif.

Avec d’emblée une affirmation lancée avec le sourire et avec conviction par la chanteuse établie en France depuis plusieurs années déjà, mais sans pour autant couper avec sa terre natale : « Non, il n’y a pas que le sirop d’érable et l’accent au Québec »..

Et d’ajouter un peu plus tard dans la soirée qu’elle avait l’impression que le Québec et la France se rapprochaient de plus en plus, notamment grâce à internet qui permet de demeurer en contact avec des interlocuteurs d l’autre côté de l’Atlantique pratiquement à tout moment, à l’exception – comme elle l’a lancé en substance à l’auditoire , « d’une période plus calme vers 5 heures du matin, quand on se couche au Québec et qu’on n’est pas encore debout en France ».

Tendre et lucide Diane Tell, entre refrains d’hier et nouvelles chansons

Non, pas question pour Diane Tell d’oublier ses racines. En témoigne son nouvel album, « Rideaux Ouverts », en l’occurrence le premier opus 100% écrit, composé et réalisé au Québec depuis qu’elle vit en Europe ! Cette réalisation menée à bien avec Serge Fortin recèle de p’tits trésors dont certains ont été livrés au public du Train-Théâtre, tels « Il m’chatouille les papilles ».

Cliquez sur le lien suivant pour écouter la chanson, c’est vraiment le post rêvé pour vous faire découvrir mon humble incursion sur la plage country de la planète Québec, la P.Q. du western. Toute mon enfance j’ai entendu cette musique, c’est mon petit rot tarif de bébé abitibien, j’assume !

      Il m'chatouille les papilles MP3

De Françoise Hardy à Duke Ellington en passant par Boris Vian

Alternant avec aisance entre chansons récentes et antiquités – selon sa propre expression – l’artiste a ainsi proposé un tour d’horizon des plus éclectiques, avec notamment un retour à ses débuts d’auteur-compositeur-interprète avec « Oh Gilberto », une de ses plus anciennes chansons.

« Les chansons, ce sont comme des enfants qu’on présente aux autres. Et ce n’est pas facile de présenter des nouvelles chansons » : l’artiste sait s’y prendre pour inciter le public à se laisser séduire par ses nouveaux refrains.

Seule sur scène avec ses deux guitares, vêtue d’une « robe dorée », Diane Tell s’offre aussi une escapade dans l’univers de Françoise Hardy dont elle reprend «La maison où j’ai grandi » avant d’inviter l’assistance à explorer d’autres voies musicales, du côté du country-western, et même du rap …

Mention spéciale pour les chansons aux textes signés Boris Vian sur des musiques surgies du jazz, tel « je suis mordue et ça fait mal » sur une musique de Duke Ellington et des paroles de l’auteur de « J’irai cracher sur vos tombes ». Sans oublier « Ma chansonnette » autre chanson de Vian enregistrée par Henri Salvador, mais inconnue du grand public. Salvador qui aurait pu enregistrer « Rue d’la flemme », autre chanson inédite de Vian reprise par Diane Tell au Train-Théâtre.

Dédiant à son père disparu « L’astre qui veille », Diane Tell a par ailleurs fait plaisir au public en reprenant ses chansons les plus connues, dont « Si j’étais un homme » et « la ballade de Jimmy » extrait d’une comédie musicale consacrée à James Dean.

En près d’une heure et demie de concert, tantôt debout, tantôt assise sur un tabouret, Diane Tell a donné libre cours à un répertoire ni gris ni rose ; juste les choses de la vie comme on les ressent, comme on les vit comme ces fameux « happy fews » aux accents de blues pour rappeler que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, entre problème de santé et d’argent par exemple…en somme une artiste bien moins lisse que ne l’imagine le grand public, celui qui n’a jamais entendu ses chansons toutes en nuances distillées dans les 13 albums enregistrés depuis 1977.

En piste pour près de deux heures face au public conquis

Infatigable Yves Lambert, redoutable multi-instrumentiste

Changement d’ambiance après l’entracte avec Yves Lambert et ses deux compères : Olivier Rondeau (guitare électrique et acoustique, voix) et Robin Boulliane (violon, bouzouki, mandoline et voix).

En piste pour près de deux heures de voyage dans un monde musical enraciné dans la tradition québécoise. Celles des chansons à répondre, des instrumentaux offerts par les trois artistes qui ne ménagent ni leur peine ni leur plaisir à jouer.

Et l’on sent entre ces trois Québécois une sacrée joie de vivre et de se produire sur scène. D’autant plus qu’à l’invitation d’Yves Lambert, le public se lèvera plus d’une fois pour taper dans les mains, voire chanté.
Infatigable Lambert qui alterne entre ses accordéons, ses maracas, sa « musique à bouche » pour ne citer que quelques-uns des divers instruments dont le jovial barbu se sert à tour de rôle.

Le fait d’expliquer en quelques mots nombre de ses chansons, de les situer dans leur contexte permet sans aucun doute au public de les apprécier avec davantage d’entrain. Un exemple parmi d’autres avec « Le père Tanasse », chanson de Jean-Paul Fillion dont il chante aussi un extrait de «La parenté », un des titres les plus connus de l’artiste québécois disparu.

« Vive le Québec libre »

Evidemment, impossible pour Lambert de ne pas glisser – en quelques mots mais avec suffisamment de voix et de conviction pour que le message passe – quelques allusions à des thèmes qui lui sont chers.

Pas question pour lui de jouer au moralisateur ou au provocateur, mais simplement de dire haut et fort quelques vérités lui tenant à cœur ; de là à entendre résonner un vigoureux « Vive le Québec libre » dans la salle du Train Théâtre, il n’y a qu’un pas franchi allègrement …

« Ca va ben chez nous » affirme aussi, un peu plus tard, Lambert en évoquant avec humour la situation politique au Canada, demandant au public s’il a entendu parler de Harper, avant de lancer un peu plus tard quelques passerelles verbales du côté du respect de l’environnement et de l’importance de la culture dans un monde soumis à l’économie …

Reste au final le souvenir d’un superbe « concert lambertien » avec une bonne dose d’humour … d’où entre autres, sa version d’un refrain brésilien des plus connus, après avoir affirmé qu’il allait peut-être se lancer dans la variété qui aura sans doute plus de succès que le répertoire traditionnel et folklorique. « 

L’urgence de s’amuser et d’en profiter » dont il parle au détout d’une chanson lui colle d’autant plus à la peau qu’elle n’est pas feinte. Sur scène, secondée par deux musiciens des plus talentueux, Lambert s’amuse à parler, à chanter, à jouer de la musique avec une bonne huleur comunicative.

Citoyen québécois fier de son pays, Lambert sait aussi jouer – avec tendresse et efficacité – la carte d’une poésie engagée, en reprenant les mots de Gaston Miron, incontournable auteur québécois avec lequel il achève son spectacle, sous les applaudissements très nourris de l’assistance debout. Des applaudissements qui fusent après un dernier « clin d’oeil lambertien » au Québec d’aujourd’hui … et de demain. Il explique en effet que dans la langue française deux négations valent une affirmation : alors pourquoi pas une réponse positive au prochain référendum sur la souveraineté ?

Incorrigible Lambert : on ne le changera jamais. Et c’est tant mieux car son talent au service d’un répertoire traditionnel va de pair avec un franc-parler qui dérange sans doute plus d’une personne. Mais ce n’est pas demain que cet artiste se contentera de jouer avec passion de sa « musique à bouche » sans s’exprimer. Son spectacle offert tambour battant au Train-Théâtre en témoigne avec une réjouissante efficacité.

A lire aussi sur ce site le long entretien accordé par Yves Lambert en mars 2010 : un tour d’horizon sans langue de bois entre réalités artistiques, culturelles et politiques; A découvrir pour mieux comprendre la vie et l’oeuvre de cet artiste unique à bien des égards au Québec.

Pour en savoir plus sur le festival et Le Train-Théâtre : cliquez ici

Lire dans le contexte

Dans les coulisses du Théâtre, il y avait sur les murs des affiches, celles d’artistes venus, applaudis, fêtés, passés.

Passer sur scène, passer la rampe, passer sur les antennes des spectateurs.